Utiliser un APN (Appareil Photo Numérique) comme colorimètre

APN = “Appareil Photo Numérique”

Peut-on transformer un APN en colorimètre ?

En théorie, non :

(1) – un APN ne peut codifier fidèlement qu’une partie des couleurs visibles. Son gamut est limité, ce qui dans le pire des cas peut produire des artefacts (Cf. ci-dessous)

comparez cette image avec un vrai DVD, tout le violet spectral a disparu ! Il a été encodé en valeurs de Bleu et de Vert, et restitué comme un Bleu / Bleu-cyan : c’est le pire point faible des APN car ici la couleur n’est pas approximative, elle est fausse !

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(2) – un APN en mode automatique applique une “correction gamma” sur les valeurs RVB des pixels qu’il enregistre, ce qui a pour conséquence d’afficher l’image sur l’écran correctement, mais de biaiser les relations numériques entre la lumière qui vient de l’objet mesuré et les valeurs RVB enregistrées.

En mode gamma = 1, les valeurs numériques RVB sont correctes du point de vue de la mesure de la lumière par l’APN, mais pas du point de vue de la restitution visuelle de cette mesure sur l’écran. Pour les PC, le gamma standard pour l’affichage est 2,2.

L’écran (courbe du bas), est “paresseux”, il faut amplifier le signal pour obtenir l’image correcte (courbe du haut, gamma 2,2)

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(3) – un APN en mode auto applique une “balance des blancs” aux images enregistrées qui change également et globalement les valeurs RVB

> Nous allons calibrer la balance des blancs nous-mêmes !

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Les obstacles (2) et (3) peuvent être évités mais pas l’obstacle (1).

En effet il est possible de désactiver à la fois la correction gamma et la balance des blancs en utilisant le mode “RAW“, disponible sur de nombreux APN.

Une image en mode “RAW” est en quelque sorte un “négatif numérique”, c’est le langage dans lequel la machine enregistre les informations venues du capteur CCD de l’APN, avant que ces informations ne soient “traduites” en RVB 24bit (“RVB 16 millions de couleurs”).

En “RAW”, les valeurs RVB des pixels correspondent exactement à la réponse électrique du capteur CCD exposé à la lumière. Normalement, cette réponse est (quasi-)linéaire, c’est-à-dire que si un objet B envoie deux fois plus de lumière vers le capteur qu’un objet A (on dit que la luminance de B est deux fois supérieure à celle de A), les valeurs RVB seront deux fois plus importantes.

Cette “linéarité” est une condition essentielle pour que les mesures de lumières (et a fortiori de couleur) soient correctes !

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Pour “développer” les négatifs RAW en images lisibles dans des logiciels tels que Photoshop sans les modifier, on peut utiliser le logiciel : DCRAW GUI

Pour que les valeurs RVB du fichier développé soient correctes et lisibles dans Photoshop ou autre, il faut configurer le logiciel comme ci-dessus : “half size interpolation” permet d’accélérer le développement en réduisant par 4 la taille de l’image, “Write 16bpp linear” permet d’obtenir des valeurs RVB de pixels qui correspondent exactement à celles enregistrées par le capteur de l’APN (il n’y a ainsi pas de correction gamma, ce qui fausserait les données…), “TIFF format” permet d’enregistrer l’image au format TIFF, lisible dans Photoshop. Le bouton “Process” lance la conversion des fichiers de la liste “files”.

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Protocole de prise de vue

Pour que les mesures soient fiables, il faut réaliser des prises de vue dans des conditions identiques, à l’aide d’un trépied, en mode manuel, avec à chaque fois le même champ de vision, la même ouverture de diaphragme, le même temps de pause, la même sensibilité ISO, et surtout la même lumière ambiante.

Les images ne peuvent ni être sous-exposées ni être surexposées (risque de perte d’information)

La lumière ambiante doit venir d’un éclairage standardisé : soit une lampe à incandescence (illuminant A), soit un tube fluorescent “lumière du jour” (illuminant D50 ou D65)

On va ensuite comparer les mesures d’un APN et d’un colorimètre. De préférence, la lumière qui illumine l’échantillon doit suivre le même parcours que le parcours de la lumière dans le colorimètre de référence.

Si le colorimètre emploie une géométrie 45/0°, et que les lampes du studio sont au plafond, on pourra mettre les échantillons sur une table et orienter la prise de vue à 45° de la table.

Images exemples :

échantillon Blanc dont la mesure est connue (il parait rose sur l’image, mais c’est un papier bristol blanc) et 3 papiers colorés

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Traitement des prises de vue

Une fois les prises de vue effectuées et “développées” avec DCRAW, on peut les ouvrir sous photoshop.

Pour obtenir des valeurs RVB qui soient cohérentes, il faut recadrer toutes les images de la même manière et calculer la valeur moyenne de chaque image.

Pour cela on crée un script, voir par à pas ci-dessous :

Photoshop > fichier > ouvrir

Choisir le fichier de prise de vue

Supprimer le profil incorporé > OK

ouvrir la fenêtre des scripts

Créer un script

Donner un nom / commencer l’Enregistrement

     sélectionner l’outil Recadrage

sélectionner le centre de l’image où se trouve l’échantillon de couleur photographié

Faire la moyenne des valeurs RVB : Filtre > atténuation > moyenne

Mesurer les valeurs RVB

  stopper l’enregistrement du script

On peut alors ouvrir les autres prises de vue et appuyer sur “Play” pour les transformer toutes de la même manière.

Une autre prise de vue recadrée et moyennée automatiquement

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Calibration (“balance du blanc”)

Pour que les mesures de couleur soient correctes, il faut mesurer un échantillon blanc de référence au moyen d’un colorimètre ou d’un spectrocolorimètre avec le même illuminant que l’on va utiliser pour les prises de vue (A, D50 ou D65).

Papier Bristol blanc mesuré au colorimètre, Illuminant D65, observateur 2°, géométrie 45/0°

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La mesure de l’échantillon en XYZ ou Yxy peut être convertie en RVB au moyen d’une matrice.

La différence entre les valeurs RVB déduites de la mesure en XYZ et les valeurs RVB du même échantillon blanc extraites de l’APN, permet de calibrer l’APN.

Par exemple, si la valeur du blanc calculée à partir du colorimètre est : RVB = 230 ; 220 ; 224

et que l’APN donne : RVB = 200 ; 160 ; 180

il faut diviser les valeurs R, V, B de la mesure colorimétrique par celles de l’APN pour obtenir un “correctif” :

Correction R = 230/200 = 1,15

Correction V = 220/160 = 1,375

Correction B = 224/180 = 1,2444444…

A partir de ces correctifs, on peut obtenir des mesures relativement précises à partir des prises de vue, par exemple si on a une prise de vue qui donne :  RVB = 20 ; 30 ; 25

Les valeurs correctes seront :

R = 20 * Correction R, soit :     R = 20 * 1,15 = 23

V = 30 * Correction V               V = 30 * 1,375 = 41,25

B = 25 * Correction B               B = 25 * 1,24444… = 31,11111111111…

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Conversions dans d’autres système colorimétriques

Les valeurs RVB ainsi obtenues, “linéaires” et corrigées à partir de la calibration décrite ci-dessus peuvent alors être converties en d’autres types de coordonnées colorimétriques.

Pour cela, il faut rééchelonner les valeurs RVB qui varient entre 0 et 255 en les mettant sous la forme de pourcentages.

Si une valeur R est égale à 180 (entre 0 et 255), on divise 180 par 255 et l’on multiplie le résultat par 100 :

R = 180 / 255 * 100 = 70,588 (%)

La matrice ci-dessous permet de convertir les coordonnées RVB sous la forme de % en coordonnées CIE XYZ :

0,4124530 0,3575800 0,1804230
0,2126710 0,7151600 0,0721690
0,0193340 0,1191930 0,9502270

Dans le logiciel Open Office Calc, on sélectionne une plage verticale de 3 cases, et on tape :

= mmult( sélectionner la matrice 3×3 ; sélectionner les cases RVB en %)

Et ensuite on presse simultanément les boutons “ctrl” + “shift” + “enter”

Dans Excel en français c’est pareil sauf qu’à la place de “=mmult” on tape “=produitmat

A partir des coordonnées XYZ on peut obtenir les coordonnées CIELAB, tous les détails sont dans le fichier à télécharger ci-dessous :

Télécharger le fichier du “logiciel” (open office / excel) : APN COLORIMETRE

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échantillons dans le diagramme de chromaticité CIE xy (1931)

les mêmes échantillons dans un diagramme psychométrique CIELAB (1976)

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Discussion

Quels sont les avantages et les inconvénients d’un tel appareillage ?

Plus + 🙂

+++ on peut mesurer et comparer n’importe quels objets, sans contact, y compris s’ils sont en 3 dimensions, s’ils sont salissants, ou si leur couleur varie en fonction de l’angle de vue.

+++ à condition que les prises de vues soient toutes réalisées de la même manière, on peut faire des moyennes de couleur (voir image ci-dessous).

demi-teintes

petits carrés de couleur

Couleur moyenne d’une page d’un vieux livre

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+++ on peut étudier et documenter des matériaux qui changent de couleur (voir ci-dessous)

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+++ on peut aussi prévoir ces moyennes de couleur de manière assez précise; à condition que les couleurs de base ne soient pas hors-gamut (voir ci-dessous)

+++ le matériel de laboratoire coûte cher, contrairement à l’APN + logiciels libres

+++ pour changer d’illuminant il suffit de changer de lampe

+++ Les mesures de luminance (quantité de lumière) au moyen de cette technique sont très satisfaisantes.

Mais attention : le système optique (la lentille) autant que le capteur CCD créent des aberrations en fonction de l’emplacement de l’objet dans l’image, il faut donc toujours travailler avec des moyennes et ne jamais comparer une mesure au coin de l’image avec une autre prise au centre de l’image !!!

+++ les APN sont de bons détecteurs de différences de couleur

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Moins –  😦

– – – les APN n’ont pas la même sensibilité spectrale que les observateurs humains, les mesures de couleurs sont donc moins fiables qu’avec un colorimètre, beaucoup moins qu’avec un spectrocolorimètre

– – – les couleurs métamères pour un observateur humain ne le seront pas forcément pour l’APN, et vice-versa

– – – le gamut limité de l’APN l’empêche d’obtenir des mesures correctes dans certaines couleurs trop saturées, notamment les Oranges, les Verts clairs saturés, et le Violet spectral. Dans ce cas, la “mesure” faite par l’APN est une approximation, voire un artefact (le Violet spectral vire au Bleu-cyan par ex.)

– – – Il n’existe aucune méthode simple pour savoir a priori à partir de quel niveau de saturation la mesure deviendra approximative.

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LE TEST

J’ai mesuré avec cette méthode deux papiers colorés dont je savais que l’un était hors-gamut et l’autre non. Voici les résultats comparés du ColoriMètre (CM) et de l’APN :

On voit que l’APN se débrouille relativement bien quand la couleur est dans le gamut RVB, moins bien quand la couleur est hors-gamut (ce qui était prévisible). Je suis tout de même surpris de la qualité de la mesure du papier bleu-cyan !

Les mesures du colorimètre donnent des couleurs plus saturées, l’APN “délave” les couleurs

Le graphique ci-dessous reprend les différences entre les deux machines en fonction des paramètres des espaces de couleur :

Y = pourcentage de luminance (par rapport à un diffuseur parfait = 100%)

x,y = coordonnées de couleur dans le diagramme de chromaticité 1931

L* = Luminosité

a* = axe rougeâtre / verdâtre

b* = axe jaunâtre / bleuâtre

C* = chroma

h° = angle de teinte CIELAB

La courbe jaune (“Différence”) serait plate si les machines avaient le même comportement :

Les points de la courbe représentent la différence entre la couleur du papier ORANGE et celle du papier CYAN.

L’APN n’arrive pas à suivre le CM lorsque le rouge sort du gamut RVB (la valeur de Rouge pour le papier ORANGE donnée par le CM dépasse 255!)

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